Azur et Asmar (2006) de Michel Ocelot: La nostalgie d’un dessin animé tout particulier
Alice Tort
In this film review of Michel Ocelot's animated movie Azur & Asmar, a movie I grew up with as a young Parisian child, I reflect on the ways in which the movie can be approached, both as a beautiful child's tale and as a reflection on modern social issues. Set in the Middle Ages in France and in an Arabic-speaking country, the movie follows Azur, a young nobleman with white skin, blonde hair and blue eyes, and Asmar, the son of Azur's maid, who has black skin, brown hair and black eyes. The boys are told tales of the Djinn fairy who awaits to be freed. Later on, both set out on this quest. The animation style is peculiar, the way Azur talks doesn't quite sound natural and, throughout the movie, we hear a mix of French and Arabic which is not subtitled. It takes the audience through the experience of being a foreigner and finding beauty where you don’t expect to. The story also gives a sense of how French children relate to the Arabic world nowadays, and how women of colour can be characterised by this role of maid.
Azur et Asmar est un long-métrage animé réalisé en 2006 par Michel Ocelot. À une époque médiévale imprécise, l’histoire suit les aventures d’Azur, un jeune Européen noble aux cheveux blonds et aux yeux bleus, et d’Asmar, fils de la nourrice d’Azur, à la peau noire, aux cheveux crépus et aux yeux foncés. Élevés comme des frères, ils sont séparés et ne se retrouvent que bien plus tard dans le pays natal d’Asmar et de sa mère, dont l’emplacement reste incertain, situé dans un vague Moyen-Orient médiéval. Les deux jeunes hommes s’engagent dans une quête, qui est décrite dans la berceuse que la nourrice leur chantait, pour trouver la fée des Djinns.
J’ai grandi avec Azur et Asmar sur la petite télé du salon. Avant tout, c’est la musique, composée par Gabriel Yared et interprétée par la chanteuse algérienne Souad Massi, qui est restée avec moi – la berceuse a rythmé mon enfance.
Quand j'ai vu qu'Azur et Asmar était sur Prime Video, j'ai décidé de voir si mes souvenirs étaient toujours intacts. Ce qui m'a frappé d'emblée, c'est le mélange de langues, souvent sans sous-titres. Quand Azur arrive dans le pays de sa nourrice, aucune conversation en arabe n'est traduite; le spectateur français et non-arabophone est tout aussi perdu qu'Azur. C'est seulement en arrivant en ville qu'on commence à mieux comprendre. En comparaison, la façon dont Azur parle n'est pas vraiment naturelle car il articule trop. C'est peut-être juste le style du film, jugé meilleur pour les enfants. Mais je trouve que cela ajoute quelque chose au caractère irréel d'Azur, toujours détaché de la rapidité de langue des autres qui l’entourent.
Azur et Asmar est un dessin animé qui s'ancre dans le binaire. C'est sûrement son attrait principal pour les enfants. Le binaire s'étend entre deux pays, deux langues, mais aussi entre un héro noir et un héro blanc, entre la richesse (celle dont Azur ne voulait pas et qu'Asmar finit par avoir) et la pauvreté. L'animation pleine de couleurs joue sur les tons de rouge et les tons de bleu. La fin elle-même ancre l'histoire dans le binaire; [spoiler alert] une fée blanche pour Azur, une fée noire pour Asmar. Tout cela rentre dans un ensemble esthétique qui semble logique.
Certains personnages dérangent un peu cet ordre binaire; ce sont surtout les immigré.e.s, ceux qui se font une place tant bien que mal là où ils arrivent. On peut suivre deux, ou trois parcours principaux dans ce sens. Crapoux est un personnage intéressant à suivre. Il est mendiant et menteur; il ment à propos de son apparence à Azur. Dans la ville qui l’accueille, il ne fait qu’insulter le “vilain pays” où il se trouve, haut et fort en français, comme s’il avait quelque chose à prouver, une fierté à préserver, malgré son apparence terne et miséreuse face aux couleurs majestueuses autour de lui. Il y a quelque chose de léger, néanmoins, dans sa façon de dire du mal en français mais mendier gentiment en arabe, comme si ses paroles contre-disaient ses actions; il est difficile de voir le “vilain pays” qu’il peint pour Azur. Il aime raconter qu’il est tel un Azur déchu que le temps a démuni d’espoir. Quelqu’un qui est allé chercher l’espoir “de l’autre côté de la mer”, et qui ne l’a jamais trouvé. C’est un parallèle intéressant à faire avec Jénane, la nourrice d’Azur et la mère d’Asmar, démunie dans son pays d’accueil (comme Crapoux) et qui a fait fortune à son retour dans son pays natal, comme si on ne pouvait trouver une position de pouvoir que là d’où l’on vient. La différence entre elle et Crapoux, c’est peut-être qu’elle est revenue; ou peut-être est-ce une attitude de bonté plutôt que de fierté, d’entreprise plutôt que d’héroïsme idéalisé?
Jénane, la nourrice, n’est pas nommée par Azur lorsqu’il la recherche, ni après – elle est mère avant tout. Entre victime et héro, sa place reste déterminée par les yeux qu’Azur porte sur elle. Bien qu’elle soit présentée sous la lumière ambivalent de la non-appartenance à deux pays, malgré son bilinguisme et son biculturalisme, elle est définie par sa générosité maternelle et son ouverture d’esprit héroïque, toutes deux inégalés. J’hésite à parler d’une écriture sexiste. Oui, Virginia Woolf écrivait déjà dans Une Chambre à Soi (1929) à propos de cette caractérisation binaire des femmes quand elles sont écrites par les hommes – soit Lady Macbeth, soit Florence Nightingale. Soit mère, soit sorcière. Mais je ne peux pas m’empêcher de penser à la façon dont ces manières de penser façonnent déjà en pratique notre rapport aux autres, surtout dans le cas considéré, aux femmes de couleur. En France, et particulièrement à Paris dans les classes aisées, les bébés sont souvent gardés et élevés par des nounous africaines ou maghrébines (voir l'article du Point 'Nounous noirs, bébés blancs' [2012] sur ce sujet).
J’ai été un de ces enfants – je ne connaissais pas bien ma mère, ma nounou et ses enfants constituaient ma famille proche pendant longtemps. Après la séparation, je n’étais plus dans le cadre de l’aventure d’Azur – j’ai appris à voir 'la femme' sous un angle plus complexe que celui de la générosité même. Mais je vois toujours aujourd'hui la même chose chez ma nourrice à moi – la bonté et la patience d’une femme qui ne peut être qu’imaginée, pleine d’esprit et d’humour aussi. Le rôle de la gentille nounou africaine est plus qu'un rôle, c'est quelque chose qui s'ancre assez dans notre imaginaire collectif pour en faire des modes d'existence privilégiés pour les femmes d'origines africaines en France. La nourrice d'Azur, devenue marchande riche de son pays, peut exprimer de la colère, mais seulement sur le ton de la supériorité sociale face aux ignorants qui peuplent sa ville. Autrement, elle n'est qu'amour et générosité; on ne la verra pas parler mal du pays qui l'a accueilli et maltraité.
Asmar est une autre histoire. Si Asmar est comme un frère pour Azur, ce n'est pas son ami non plus. Enfant, Asmar est en colère contre tout ce qu'Azur prend pour acquis, y compris sa mère. Adulte, Asmar refuse d'abord d'utiliser la langue d'Azur ou de s'adresser à lui. Au cours de leur aventure pour trouver la fée des Djinn, on les voit redevenir frères, grâce aux actes héroïques d'Azur pour sauver Asmar, qui ne peut pas continuer la quête seule. Ceci est frustrant, parce que la première partie de la quête n'a pu se faire que grâce au travail qu'Asmar a fourni pendant de nombreuses années. Ils sont tous deux héros, mais nous n'en suivons qu'un. La colère d'Asmar est presque rassurante, mais Azur n'a jamais à y faire face; seulement attendre qu'elle cesse.
Azur et Asmar est un beau film d'animation pour enfants certes, mais une œuvre que je trouve très française, par rapport aux dessins animés du monde anglophone auxquels je me suis habitué.
Azur et Asmar Film Credit: Azur et Asmar, réalisé par Michel Ocelot, comédiens: Cyril Mourali, Karim M’Riba et Hiam Abbass, Nord-Ouest Films, 2006. Prime Video, https://www.primevideo.com/detail/Azur-et-Asmar/0I9XX3DQ53GHS8I9UQWBOFCI3H/ref=atv_nb_lcl_fr_FR